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Nurlan Bizakov, le propriétaire en forme cet été à Deauville : “J'aime être impliqué dans le quotidien de mes chevaux”


En quelques années, le propriétaire, qui est aussi éleveur, a pris place parmi les personnes qui comptent dans le monde des courses.


Ce que j’ai appris en tant que propriétaire, c’est comment perdre”, déclare Nurlan Bizakov sans grande émotion. Mais on ressent que gagner, c’est important dans la vie de ce propriétaire kazakhstanais qui, d’ailleurs, ne fait que cela depuis le début du meeting de Deauville. Sur le podium de deux groupes I, l’A.R.C. Prix Maurice de Gheest avec Lazzat et le Prix du Haras de Fresnay-le-Buffard Jacques le Marois avec Charyn, ainsi que le Prix Daphnis (Gr. III) avec Ramadan, Nurlan Bizakov pouvait difficilement s’attendre à un meilleur résultat. “On rêve de ces moments forts, mais on ne s’y attend pas”, confirme-t-il confortablement installé dans son fauteuil au bureau de son Haras du Mézeray, qu’il a ajouté à son parc foncier, composé de Hesmonds Stud en Angleterre et du Haras de Montfort & Préaux, en 2021.


“Perdre, c'est difficile pour moi

En fait, perdre, c’est difficile pour moi. J’avoue qu’avant de devenir propriétaire de chevaux de course, j’étais très mauvais perdant. Je détestais perdre. À un moment au Kazakhstan, j’étais propriétaire d’une équipe de foot dans la ligua 1. Un jour, on m’a demandé de perdre un match et pour moi c’était la fin. Plus jamais je me suis intéressé au football.” Ce que le football a perdu, les courses de chevaux l’ont gagné. C’est son beau-frère qui a introduit ce businessman, qui a fait fortune dans le phosphore et les hydrocarbures, aux courses, même s’il n’avait pas vraiment besoin d’une introduction, car les Kazakhstanais ont les chevaux dans le sang. “Nous sommes des nomades”, raconte Nurlan Bizakov qui est né dans le petit village de Sumbe au Kazakhstan, un pays qu’il avait quitté au tournant du XXIe siècle pour s’installer en Angleterre, mais où il est depuis retourné. “Le Kazakhstan, c’est le neuvième pays le plus grand au monde, en surface, pas en population. Donc, nous avions l’habitude de voyager des milliers de kilomètres à la recherche des plaines d’herbe. Ainsi, mon premier cheval de course était une pouliche d’endurance, un pur-sang que j’ai acheté en Russie, qui courait sur sept et neuf kilomètres.” Fasciné par les chevaux, c’est cependant lors de ses années anglaises qu’il s’est laissé séduire par l’univers du monde des courses de chevaux. Basé à Windsor où, comme il dit avec un petit sourire, “j’étais voisin de la reine”, il a remarqué un jour plusieurs personnes avec des chapeaux hauts. “J’ai demandé de quoi il s'agissait, se rappelle-t-il. On m’a dit que c’était pour aller aux courses de chevaux à Royal Ascot et, ainsi, j’ai commencé à suivre les courses à la télévision. Puis, j’ai décidé d’acheter un cheval aux ventes de Tattersalls et en 2007 j’ai obtenu mes couleurs.



“C'est un sport bizarre, mais je l'adore”

Ses couleurs, c’est le bleu turquoise et jaune qu’on retrouve dans le drapeau du Kazakhstan et des couleurs qui étaient à l’affiche dès 2008 grâce à Askar Tau, un cheval entraîné par Marcus Tregoning en Angleterre. Battu à plusieurs reprises pour ses débuts, Nurlan Bizakov revient sur le thème du début de cette interview quand il dit : “Lors de ses trois premières sorties, Askar Tau était bien battu et chaque fois j’étais très déçu. Puis, il a reçu son rating pour les handicaps, s'est classé deuxième, et il a gagné cinq courses consécutives. Et j’ai compris pourquoi j’étais dans les courses, puisque gagner, c’est énorme. Et il répète : “Perdre, ce n’est pas facile pour moi. Quand on envoie un yearling chez un entraîneur, ce sont tous des champions qui sont invaincus. Puis, il y a la réalité. J’essaie de ne pas mettre de pression sur mes entraîneurs. Même dans les plus petites courses, on ne peut pas être confiant. J’ai été battu alors que j’étais grand favori et j’ai gagné des groupes I avec un outsider comme Belbek. C’est un sport bizarre, mais je l’adore.” Il n’y a aucun doute que cet homme, qui a aujourd’hui une soixantaine de chevaux à l’entraînement, répartis entre la France et l’Angleterre, dont la majorité en France, est un vrai passionné des courses. Âgé de 60 ans, marié, avec quatre enfants, il a encore quelques années avant de prendre sa retraite, mais avoue qu’il consacre 95 % de son temps à ses intérêts équins et seulement 5 % à ses affaires, qui, apparemment, prennent soin d’elles-mêmes. Alors qu’il laisse éclater sa joie quand ses chevaux gagnent, durant l’interview il reste plutôt réservé. Sa voix est calme et posée et il n’a pas recours à de grands gestes pour exprimer son amour du cheval ou pour faire passer son avis. Il dégage une satisfaction sereine avec l’évolution de son parcours de propriétaire et ne peut pas cacher sa fierté quand il dit qu’avant tout, il est propriétaire/éleveur. Et ainsi, il aime être impliqué dans le quotidien de ses chevaux.



“Je peux appeler André Fabre quand je veux pour parler des chevaux”

Vous savez, explique-t-il avec franchise, quand j’étais en Angleterre, j’ai eu des chevaux à l’entraînement pratiquement chez tous les grands entraîneurs, mais c’est avec Roger Varian que le déclic s’est fait. J’ai aussi des chevaux chez Charlie Johnston, avec qui je m’entends très bien, mais Roger est mon entraîneur principal en Angleterre. Pour moi, c’est la relation humaine qui est importante. J’ai besoin de comprendre ce que pense l’entraîneur. J’ai besoin de communiquer.” En France, Nurlan Bizakov a confié des chevaux à plusieurs entraîneurs. En poussant un profond soupir, il confie : “Je n’ai qu’un seul regret, c'est que je n’ai pas envoyé un cheval à André Fabre quand je l’ai rencontré en 2010. À l’époque, je pensais qu’il n’y avait qu’une seule bonne course en France, qui était l’Arc de Triomphe. En fait, je ne pensais qu’à l’Angleterre, son prestige et je ne voulais pas avoir des chevaux ici. Tout le monde me disait que c’était difficile de faire des affaires avec André, qu’il avait du caractère, mais j’ai constaté le contraire. Il est très facile à aborder. Je peux l’appeler quand je veux pour parler des chevaux.” Si André Fabre lui a offert son premier succès de groupe I en France quand Belbek s’est imposé dans le Qatar Prix Jean-Luc Lagardère en 2022, entre-temps, il y a d’autres entraîneurs qui ont reçu des chevaux achetés ou élevés par le propriétaire kazakhstanais. “Oui, j’ai Jérôme Reynier et Christopher Head qui représentent l’avenir des courses françaises et je suis ravi de leur envoyer des chevaux. J’espère qu’ils aiment aussi travailler avec moi, continue-t-il. Nous allons beaucoup les soutenir, puis j’ai aussi des chevaux chez Fabrice Chappet, Stéphane Wattel et Alex Pantall. Je pense que cela fonctionne très bien.” L’association avec Jean-Claude Rouget, en revanche, n’a pas fonctionné comme espéré et le mois dernier ses chevaux ont quitté l’écurie pour rejoindre d’autres entraîneurs. “Ce n’était pas une décision facile, surtout en ce moment (ndlr, Jean-Claude Rouget a pris du recul pour cause de maladie), et j’ai eu des longues discussions avec mon équipe, explique Nurlan Bizakov. Mais encore une fois, pour moi, c’était une question de relations humaines et j’aime être impliqué dans le quotidien. Ce n’était pas le cas avec Jean-Claude. Et je n’étais pas rassuré quand il n'a pu poursuivre son travail avec ses problèmes de santé. J’espère qu’il va vite aller mieux. Nous lui souhaitons une guérison rapide, car nous avons besoin de lui dans ce sport.


“Ici, il y a les meilleures allocations d'Europe”

Ce sport est devenu sa vie. Et sa vie, il la passe maintenant entre le Kazakhstan et la France. En fait, après avoir longtemps été sous le charme du prestige des courses anglaises, aujourd’hui, ou plutôt déjà depuis 2019 quand il a acquis le haras de Montfort & Préaux, il est devenu le plus grand supporteur des courses françaises. “C’est très simple, dit-il. J’avais déjà acheté une part de Le Havre online, puisque c’est un étalon que j’avais utilisé en étant basé en Angleterre et sans vouloir offenser qui que ce soit, mes juments ne me plaisaient pas quand elles revenaient de la France. Donc, j’ai dit à Tony (son bras droit depuis 2010) d'acquérir Hesmonds Stud. Puis, un jour, j’ai été approché par Sylvain Vidal, qui vendait son haras et vu les allocations en France, il n’y avait pas à réfléchir. C’était complètement logique de délocaliser en France. Nous connaissions tous les aspects des courses en Angleterre, les positives et aussi les très négatives, notamment les allocations. En fait, comme je vous ai dit, mon cheval Askar Tau a remporté cinq courses consécutives et je pense qu'en tout, il a gagné £15.000. Alors qu’en France, s’il avait gagné deux courses et avec les primes, il aurait été rentabilisé pour deux ans. La France a les meilleures allocations en Europe.” Il a donc quitté l’Angleterre, mais Hesmonds Stud, où il dit avoir passé des années fabuleuses et où il a tout appris puisqu’il était présent à chaque naissance, fait toujours partie de sa structure et sert plutôt à quelques yearlings et au bétail. C’est désormais en France que se trouvent ses 60 juments et ses quatre étalons. “Je veux être éleveur, continue-t-il avec conviction. Je me considère un peu comme un ambassadeur de mon pays. Le marché d’étalons en France, un peu moins compétitif que celui en Irlande et en Angleterre, me semblait une bonne base.



“La France m'a accueilli de manière très chaleureuse”

Et il faut dire que la France l’a accueilli à bras ouverts, ce qui n’était apparemment pas le cas en Angleterre, comme se permet d’interrompre Tony Fry : “Il n’y a jamais eu une seule personne des autorités hippiques britanniques qui nous a souhaité la bienvenue dans le monde des courses britanniques. Alors que quand nous sommes arrivés en France, France Galop a fait l'effort de nous rencontrer, de nous présenter à d’autres personnes.” Il s’agit manifestement d’un point sensible, car Nurlan Bizakov ne se retient pas quand il dit : “En Angleterre, si j’étais venu des pays du Golfe, ils n'auraient parlé que de moi. Mais je comprends que je suis du Kazakhstan et beaucoup de gens ne savent même pas où se trouve ce pays. Je n’étais pas important, sauf pour Tattersalls, qui ont toujours été très accueillants. Mais c’est ok, nous comprenons que nous devons travailler deux fois plus dur que les autres. Cependant, nous sommes ici dans la durée et la France m’a accueilli d’une manière chaleureuse dès la première journée. Quand j’ai acheté Montfort, pratiquement tous les éleveurs m’ont remercié pour avoir investi en France. Ils m’ont dit que la France avait besoin de gens comme moi. C’était très encourageant.” Grâce à cet accueil, il n’était pas étonnant que le Kazakhstanais soit ravi de sponsoriser le Prix Morny, une course où naissent des futurs étalons et qu’il rêve de remporter un jour. Ses ambitions dans ce monde des courses sont en tout cas loin d’être satisfaites et le prochain pays qu’il espère conquérir est l’Australie. Ce n’est pas un secret que Lazzat vise le Golden Eagle, doté de AUS$10 millions en fin d’année, mais le propriétaire/éleveur considère que certains de ses chevaux pourraient faire une future carrière en Australie quand il explique : “J’ai déjà créé une société en Australie et je compte y envoyer quelques chevaux chez Gai Waterhouse, Michael Kent et peut-être aussi Chris Waller, avec qui j’ai eu un entretien par Zoom cette semaine. Quelques chevaux de listed en France pourraient être des chevaux de groupe en Australie et leurs allocations sont incroyables.” Espérons que les Australiens lui feront le même accueil que la France, puisqu’une chose est certaine, cet homme charmant, direct et très loyal est définitivement un enrichissement pour notre sport.


Paris-Turf 17/08/24

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